La grande majorité des ouvrages en droit appartiennent à la première façon de lire le droit ce qui automatiquement leur enlève un recul critique pourtant nécessaire. C'est sur ce point très particulier que je voulais donner un exemple qui me semble emblématique lorsque l'on aborde, à titre d'illustration, la 8e édition de l'ouvrage « Droit des libertés fondamentales », deux points ont attirés mon attention et appellent à discussion.
La première porte sur la conclusion de la « théorie de la loi-écran » où il est écrit p. 85 de l'ouvrage : « La théorie de la loi-écran ne constitue donc pas un obstacle pour la diffusion des droits fondamentaux », cette affirmation semble avoir été démentie par la loi sur « l'état de l'urgence sanitaire » puisque ce fut une loi qui permet aux autorités réglementaires d'intervenir directement dans un domaine pourtant réservé à la loi, en vue de l'article 34 de la Constitution de 1958, des libertés fondamentales.
Le second point découle précisément de cette vue « classique » de la lecture du droit, et porte sur la naissance précisément de la loi de « l'état d'urgence sanitaire », où il est écrit p.102 du même ouvrage « Le code de santé publique dans son article L. 3131-1 (article qui n'a d'ailleurs jamais été examiné par le Conseil constitutionnel) prévoyait jusque-là qu' « en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence », seul le ministre de la santé pouvait prendre « toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population ».
Il aurait été intéressant de citer l'article dans son entier plutôt que de le découper car, il y était écrit à l'origine que « le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée...etc ».
Dans la loi, ce n'est pas le verbe « prendre » qui y est écrit, mais bien « prescrire », et cette différence est fondamentale. En effet, « pouvoir prendre » a une valeur d'obligation alors que « prescrire » a une valeur de proposition.
D'ailleurs, la rédaction de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 en son article 4 ira dans ce sens puisque le décret de déclaration d'un état d'urgence sanitaire est pris en conseil des ministres en fonction du rapport du ministre chargé de la santé qui peut en limité l'application, donc bien la « prescription ».
Cette question de français nous ramène à une question de droit élémentaire entre l'obligation et la proposition.
Il en va de même avec le terme de « proportionnalité » (que nous verrons dans un autre article) qui est justifié dans le texte par les décisions des juridictions sans nous donner la base sur laquelle la proportionnalité est établi tel qu'un ordre de grandeur par exemple, c'est proportionnel par rapport à quoi ? Sur quels critères et quelles bases ? Il serait intéressant qu'un précis puisse nous apporter ses informations.
Tout ceci renvoie là aussi à la distinction classique entre « l'argumentaire d'autorité » et « la démonstration de droit ». Il aurait donc été intéressant de s'intéresser à la nature des termes d' « urgence », d' « exception » pour voir en effet, s'il n'y avait pas déjà en notre droit courant les moyens d'action et ainsi interroger la légalité.
Ce droit critique à partir du sens des mots est un droit qui a toujours été celui des grands juristes ou doyens car, il nous permet de resituer le droit dans la société comme le savoir qui nous permet de vivre ensemble, si nous adoubons tout ce qui se fait et dit, il n'y a plus ce retour critique nécessaire à la construction de toute connaissance, nous devenons alors un catalogue de descriptions des décisions prises, alors même que le droit est avant tout un savoir d'avenir et de construction des rapports sociaux.
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