lundi 9 janvier 2023

La société de jeu : fin de partie!

 
En 2002, alors que j'étais en année d'étude approfondie au Muséum National d'Histoire Naturelle à Paris, à la section du Musée de l'Homme, département de l'arctique, j'ai développé une théorie autour du jeu et de l'économie de marché, je m'étais alors demandé pourquoi nos sociétés s'étaient autant rigidifiées dans leur structure sociale, dans une forme de pouvoir vertical, présentée sans alternative. C'est bien l'étude des autres cultures qui m'ont permis de poser une thèse générale. 

J'affirmais alors que la grande distinction entre la société occidentale dite « moderne » et les sociétés dites « traditionnelles » dans leur plus grande diversité était que notre société ne distingue pas la structure du jeu et celle de la vie quotidienne. Je l'ai traduit dans l'expression de la « société de jeu » pour caractériser un monde où tout est jeu ou conçu comme tel, y compris dans notre appréhension de l'existence . 

Nous pouvons retrouver cette idée lorsque nous parlons de « l'économie casino » pour évoquer les marchés financiers. La société de jeu est d'ailleurs une société où tout correspond au jeu l'économie, les relations sociales, mais aussi l'élaboration des théories scientifiques explicatives. 

L'autre schéma serait les « société du jeu », c'est-à-dire des cultures qui distinguent l'univers du jeu de celui du quotidien. 

La "société du jeu" ne se confond pas avec le quotidien. Cette étude m'avait notamment permis de comprendre des mécanismes de transmission des savoirs et des cultures à travers les jeux, et comment par ce « détour » nécessaire l'unité du quotidien se raffermit.

Suite à 2002 et mes péripéties professionnelles j'avais mit un peu en retrait cette théorie, mais m'étais arrangé pour la faire imprimer et la déposer en ligne comme nous le permet Internet (VOIR : La société de jeu, de la métaphore à la réalité). 

Il est vrai que nombreuses personnes me parlent encore de cette théorie qui peut facilement se constater tous les jours et qui a des applications très concrètes, notamment en éducation.

En 2022, 20 ans après, je viens de prendre connaissance de l'ouvrage de David Graeber et David Wengrow, Au commencent était..., une nouvelle histoire de l'humanité (publié en 2021) ; et m'a surprise fut grande quand j'ai retrouvé trace, d'une façon un peu différente il est vrai, de cette idée sur le « jeu ». 

En effet, les auteurs montrent comment notre société s'est rigidifié dans un modèle unique de société verticale alors même que l'histoire de l'humanité montre une grande imagination et souplesse des formes de pouvoirs, y compris saisonnière. Ils en arrivent forcément à étudier les jeux, fêtes, carnavals où le pouvoir est moqué et porté en dérision, et notent donc ce mouvement pendulaire entre des périodes de jeux très réglementés, ritualisés et le quotidien bien plus souple et s'organisant même dans certaines régions suivant les saisons. Ils arrivent à se demander : « Comment la domination et l'asservissement en sont-ils venus à représenter à nos yeux des éléments incontournables de la condition humaine, plutôt que de simples expédients temporaires ou même les fastes de quelques grandioses comédies saisonnières ? Si tout cela a commencé comme un jeu, à quel moment avons-nous oublié que nous étions en train de jouer ? » (p.152)

Cette idée refait donc surface à un moment précis de notre histoire, quand justement nous risquons de ne plus avoir de pièces pour continuer à jouer. En effet, la question des ressources naturelles et de l'énergie s'invitent à notre table comme je l'ai évoqué depuis de nombreuses années, et beaucoup de nos concitoyens qui jouaient le jeu de notre civilisation, risque bien de ne plus en avoir les moyens et d'être privé de l'essentiel, et là on ne joue plus, on ne peut plus jouer.

Lorsque nous parlons des sociétés qui séparaient les moments des jeux et les moments du quotidien, nous évoquons surtout des civilisations qui avaient des milliers d'année alors que lorsque nous parlons de la nôtre qui s'est enfermée dans une structure de jeu, nous parlons au bas mot d'une civilisation de 2 ou 300 ans, et nous sommes déjà en train de jouer la fin de la partie.

C'est en ce sens que la connaissance ethnologique est très vivante et nous passe bien plus qu'une connaissance des sociétés autres ou anciennes, mais bel et bien d'une forme de sagesse que nous avons perdu.

L'ethnologie pourrait sans difficulté s'interpréter comme le savoir de « mondes retrouvés »

Voir aussi l'ethnologie dans l'interprétation de l'actualité:

 

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