Lorsque
nous comprenons que ce que nous avons créé va mourir avec nous,
nous avons un tout autre regard sur ce qui nous entoure. Les heures
deviennent des secondes et l’absurde même de toute cette recherche
vient en nous, l’insignifiance de cette création aussi.
Le
regard critique sur un monde qui devient insipide et qui attend un
nouveau souffle qui ne pourra venir que lorsque l’ancien monde
tombera. C’est alors comme une bête blessée, il se relève
toujours, retardant toujours d’avantage la naissance de ce qui
devrait suivre.
Il
est assez étrange de voir tous ces échecs, tous ces projets qui
n’ont pas pu aboutir, tout ce que nous croyions avoir et qui à la
dernière minute s’envole, sans que nous ne puissions rien y faire.
La culpabilité tombe sur nous, et tout ce que nous entendons nous y
ramène, y compris ceux qui en apparence disent être bien veillant,
les chamans de l’individualisme, « soyez l’acteur de votre
existence », jeu que l’on nous demande de jouer, mais face à
la réalité, cela fait bien longtemps que cherchant simplement à
être moi-même se développe l’antithèse de l’acteur. Non, nous
ne sommes pas des acteurs, et c’est à force de nous le faire
croire que perdu en nous-mêmes, nous cherchons des vérités qui n’y
sont pas.
Les
échecs de ses années me ramènent à mes propres critiques, aux
sourires hypocrites et les croyances toujours affligeantes de ses
formations qui confondent simulation et réalité, décidément tout
nous ramène à l’acteur et au jeu, mais un bon acteur n’a jamais
été un bon professionnel, deux dimensions tellement différentes
que j’ai encore du mal à comprendre comment nous pussions y
déverser l’argent public pour financer ce simulacre.
Les
dessins, les peintures, les images inventées, les histoires, les
scenarios, les écrits et toutes ces heures passées à lire, prendre
des notes, devenir le spécialiste d’une dimension qui visiblement
n’intéresse personne car, nous ne visons pas la célébrité, non,
juste de pouvoir continuer à connaître et à avoir un lieu pour
partager cette connaissance, mais visiblement c’est trop, les
réseaux ayant pris le pas sur le savoir, le concours sur la
compétence, et nous dans les limbes de notre espoir, l’avenir se
ferme et nous savons que notre œuvre va mourir avec nous.
Pourtant,
cet œuvre, lorsque nous voyons l’actualité, lorsque nous voyons
les évolutions de notre époque aurait trouvé sa place sans
difficulté, elle va finalement rejoindre les oubliettes et
disparaitre quand le papier qui compose son support disparaîtra. Je
ne sais pas pourquoi cela n’a pas vu jour, je ne sais pas pourquoi
les chemins ne se sont pas ouverts, l’espoir me quitte, et je
continue malgré tout, perdu en moi, étranger à ma propre patrie,
je repense incrédule que les seules qui m’ont fait confiance son
des étrangers, les seules qui m’ont permis de rester debout dans
mon propre pays, leur vouant ma reconnaissance pour l’éternité.
Le
vent a pris ma parole, les mots s’envolent, et la croyance qu’un
discours pouvait changer le monde avec lui, l’idée naïve, à
force d’écouter et lire les tribuns, que de simples mots prononcés
avec conviction et don de soi pouvait changer le monde. Si cela fut
vrai un temps, il en est plus rien aujourd’hui à l’heure
d’internet, où tous les discours se valent, où le « succès »
du matin est différent le soir même.
J’ai
beau regardé, il ne me reste dans l'absolu presque plus rien, juste l'essentiel et l'amour des miens, le vent a beaucoup pris, même
les derniers espoirs s’envolent avec lui. L’échéance est
malheureusement connue, elle arrive, elle est là.
Comme
une poésie, je me souviens alors de ce texte « la société de
jeu » que j’avais écrit et où j’avais indiqué cette
différence entre société de jeu et société du jeu, binarité non
absolue, mais relative, elle avait surtout une existence explicative.
Ecrivant
ceci et préfigurant bien de mes recherches futures, nous étions
alors en 2004 :
« (…) la
société de
jeu se distingue de la société du
jeu où jeu et quotidien sont séparés. Dans ce dernier, la mesure
est dans le quotidien et la démesure dans les jeux. Elle ne cherche
pas l’émulation perpétuelle et éternelle. Si la société de jeu
est une société de survie alors qu’elle a pour vocation de créer
l’abondance (la profusion des richesses), c’est précisément
parce que cette abondance est fragile, elle se base sur une émulation
continue, sans repos possible; ayant pour fin elle-même et excluant
tout ce qui empêche cette croissance. Sa survie dépend de
l’émulation.
Il en est bien différemment de la
société du jeu où son vécu s’ancre dans le quotidien et où la
personne se doit d’avoir des liens et un visage. Le jeu est ici une
stimulation occasionnelle, il ne domine pas et se structure avec tous
les autres éléments d’une société, cette dernière n’est pas
fragmentaire.
C’est exact qu’une société du
jeu crée moins de concentration de richesse qu’une société de
jeu, qu’elle est moins abondante en surplus et moins prolifique en
ajout et se base plus sur la répartition des richesses, mais il est
vrai aussi qu’elle est moins fragile, elle ne fonde pas son vécu
sur la fragilité d’une émulation perpétuelle (croissance). La
société du jeu est moins obnubilée par l’accumulation et la
concentration de richesses. C’est pour cela qu’elle est plus
stable (plus équilibré entre ces différentes composantes) alors
que la société de jeu désir la richesse et en perd beaucoup car,
elle ne la redistribue pas. »
Je vois ainsi tout le piège de la critique
aujourd’hui, celle de nous laisser sur place, espérant secrètement
à la façon d’un Senancour ne rien savoir du tout et aller
insouciant, devant subir chaque jour un peu plus l’absurdité d’un
monde qui a défaut d’accepter la réalité, joue à la façon d’un
acteur, une pièce de plus en plus incompréhensible.
Et bien contrairement à ce qui puisse être
dit, bien plus cohérent et logique dans ma démarche, je constate
simplement la voie sans issue qui devra se fissurer...
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