vendredi 5 novembre 2021

Le vent a emporté ma parole, homo autocriticus

 

Lorsque nous comprenons que ce que nous avons créé va mourir avec nous, nous avons un tout autre regard sur ce qui nous entoure. Les heures deviennent des secondes et l’absurde même de toute cette recherche vient en nous, l’insignifiance de cette création aussi.

Le regard critique sur un monde qui devient insipide et qui attend un nouveau souffle qui ne pourra venir que lorsque l’ancien monde tombera. C’est alors comme une bête blessée, il se relève toujours, retardant toujours d’avantage la naissance de ce qui devrait suivre.

Il est assez étrange de voir tous ces échecs, tous ces projets qui n’ont pas pu aboutir, tout ce que nous croyions avoir et qui à la dernière minute s’envole, sans que nous ne puissions rien y faire. La culpabilité tombe sur nous, et tout ce que nous entendons nous y ramène, y compris ceux qui en apparence disent être bien veillant, les chamans de l’individualisme, « soyez l’acteur de votre existence », jeu que l’on nous demande de jouer, mais face à la réalité, cela fait bien longtemps que cherchant simplement à être moi-même se développe l’antithèse de l’acteur. Non, nous ne sommes pas des acteurs, et c’est à force de nous le faire croire que perdu en nous-mêmes, nous cherchons des vérités qui n’y sont pas.

Les échecs de ses années me ramènent à mes propres critiques, aux sourires hypocrites et les croyances toujours affligeantes de ses formations qui confondent simulation et réalité, décidément tout nous ramène à l’acteur et au jeu, mais un bon acteur n’a jamais été un bon professionnel, deux dimensions tellement différentes que j’ai encore du mal à comprendre comment nous pussions y déverser l’argent public pour financer ce simulacre.

Les dessins, les peintures, les images inventées, les histoires, les scenarios, les écrits et toutes ces heures passées à lire, prendre des notes, devenir le spécialiste d’une dimension qui visiblement n’intéresse personne car, nous ne visons pas la célébrité, non, juste de pouvoir continuer à connaître et à avoir un lieu pour partager cette connaissance, mais visiblement c’est trop, les réseaux ayant pris le pas sur le savoir, le concours sur la compétence, et nous dans les limbes de notre espoir, l’avenir se ferme et nous savons que notre œuvre va mourir avec nous.

Pourtant, cet œuvre, lorsque nous voyons l’actualité, lorsque nous voyons les évolutions de notre époque aurait trouvé sa place sans difficulté, elle va finalement rejoindre les oubliettes et disparaitre quand le papier qui compose son support disparaîtra. Je ne sais pas pourquoi cela n’a pas vu jour, je ne sais pas pourquoi les chemins ne se sont pas ouverts, l’espoir me quitte, et je continue malgré tout, perdu en moi, étranger à ma propre patrie, je repense incrédule que les seules qui m’ont fait confiance son des étrangers, les seules qui m’ont permis de rester debout dans mon propre pays, leur vouant ma reconnaissance pour l’éternité.

Le vent a pris ma parole, les mots s’envolent, et la croyance qu’un discours pouvait changer le monde avec lui, l’idée naïve, à force d’écouter et lire les tribuns, que de simples mots prononcés avec conviction et don de soi pouvait changer le monde. Si cela fut vrai un temps, il en est plus rien aujourd’hui à l’heure d’internet, où tous les discours se valent, où le « succès » du matin est différent le soir même.

J’ai beau regardé, il ne me reste dans l'absolu presque plus rien, juste l'essentiel et l'amour des miens, le vent a beaucoup pris, même les derniers espoirs s’envolent avec lui. L’échéance est malheureusement connue, elle arrive, elle est là.

Comme une poésie, je me souviens alors de ce texte « la société de jeu » que j’avais écrit et où j’avais indiqué cette différence entre société de jeu et société du jeu, binarité non absolue, mais relative, elle avait surtout une existence explicative.

Ecrivant ceci et préfigurant bien de mes recherches futures, nous étions alors en 2004 :

« (…) la société de jeu se distingue de la société du jeu où jeu et quotidien sont séparés. Dans ce dernier, la mesure est dans le quotidien et la démesure dans les jeux. Elle ne cherche pas l’émulation perpétuelle et éternelle. Si la société de jeu est une société de survie alors qu’elle a pour vocation de créer l’abondance (la profusion des richesses), c’est précisément parce que cette abondance est fragile, elle se base sur une émulation continue, sans repos possible; ayant pour fin elle-même et excluant tout ce qui empêche cette croissance. Sa survie dépend de l’émulation.

Il en est bien différemment de la société du jeu où son vécu s’ancre dans le quotidien et où la personne se doit d’avoir des liens et un visage. Le jeu est ici une stimulation occasionnelle, il ne domine pas et se structure avec tous les autres éléments d’une société, cette dernière n’est pas fragmentaire.

C’est exact qu’une société du jeu crée moins de concentration de richesse qu’une société de jeu, qu’elle est moins abondante en surplus et moins prolifique en ajout et se base plus sur la répartition des richesses, mais il est vrai aussi qu’elle est moins fragile, elle ne fonde pas son vécu sur la fragilité d’une émulation perpétuelle (croissance). La société du jeu est moins obnubilée par l’accumulation et la concentration de richesses. C’est pour cela qu’elle est plus stable (plus équilibré entre ces différentes composantes) alors que la société de jeu désir la richesse et en perd beaucoup car, elle ne la redistribue pas. »

Je vois ainsi tout le piège de la critique aujourd’hui, celle de nous laisser sur place, espérant secrètement à la façon d’un Senancour ne rien savoir du tout et aller insouciant, devant subir chaque jour un peu plus l’absurdité d’un monde qui a défaut d’accepter la réalité, joue à la façon d’un acteur, une pièce de plus en plus incompréhensible.

Et bien contrairement à ce qui puisse être dit, bien plus cohérent et logique dans ma démarche, je constate simplement la voie sans issue qui devra se fissurer...

 


<< Télécharger La société de Jeu >>


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire