mercredi 16 mars 2022

Apprendre à écouter, la naissance de la pluralité

Voilà un thème qui mérite toute notre attention, savoir s'écouter, ou apprendre à écouter. 

Il est intéressant de noter en cette période d'élection présidentielle, comment chacun pense détenir la vérité, le savoir de ce qui est bon et ce qui ne l'est pas.

Cette conviction divise en suite notre monde entre les "pour" et les "contre", résumons notre monde à une binarité. Mais dans ce concert de certitudes qui proclame pourtant la démocratie, le peuple est absent. Il n'a pas pu choisir les candidats, il n'a que très peu la parole, l'information contradictoire lui a été confisquée, les médias lui imposent les sujets nobles et ce que nous devons penser sur la guerre, la paix, la faim dans le monde, l'énergie et l'environnement. Tout ceci ramène à ce que nous expliquons depuis des années, nous vivons la fin de la modernité, nous passons d'un axe politique droite / gauche, à un axe global / local. 

La vue globale est celle du "verticalisme", du mondialisme, de ce que nous appelons aussi la gouvernance mondiale. Mais, faisons attention, cette gouvernance n'est qu'un mondialisme parmi d'autres, l'international, l'industrialisme, l'économie de marché, l'écologisme, en sont d'autres. Dès fois, ils arrivent à se confondre. Mais, la logique est toujours la même: la vérité vient d'en haut et elle est une. 

En face, il existe le localisme. Je sais cette expression n'est pas très heureuse, c'est pourquoi je préfère parler de pouvoir local ou horizontal, de multilatéralisme, de logiques internes. Elles visent à apprendre à nous écouter et surtout que face aux enjeux de la planète seules les populations locales, réunies et échangeant, des solutions peuvent naître. 

Cette démarche personne n'en parle car, cette connaissance des uns et des autres est l'ouverture à la pluralité. Le choix nous appartient donc, et c'est pour cela qu'à la façon d'un De Gaulle qui imaginait l'homme de caractère comme le grand homme de son époque, il me plait de concevoir, l'homme qui sait écouter, comme celui de la notre.


mercredi 9 mars 2022

« La proportionnalité », le passage du droit du certain au droit de l'incertain

 
Voilà un argument que nous entendons de plus en plus souvent autant dans la défense que propose les avocats que dans les décisions que rendent les juridictions en justifiant un arrêt par un principe de proportionnalité. Pourtant, ce concept peut à de nombre égard nous laisser circonspect tant à sa pertinence à justifier l'argumentation proposée d'une défense ou d'un jugement.

Il est en effet très complexe d'établir la proportionnalité d'une décision, par rapport à quoi ? À qui ? Selon quels critères ? Peut-elle rester fixe ou est-elle adaptable à une situation ? La vérité dans une situation A est-elle identique dans une situation B ? Les questions s'enfilent les unes après les autres et toutes décisions entraînent de fait d'autres questions, et la raison en est simple. Le concept de proportionnalité est un concept flottant (ou mouvant), il se détermine suivant les critères que nous retenons et jugeons comme pertinent. D'ailleurs en mathématiques, la proportionnalité est une partie des mathématiques qui analysent les possibilités qu'un événement arrive et qui observe forcément une marge d'action. Nous quittons donc le champs du certain pour entrer dans celui de l'incertain.

C'est bien à ce phénomène que nous assistons en droit et les décisions prises sur l'état d'urgence sanitaire nous l'ont démontré. Un jugement décide si une mesure contraignant les libertés fondamentales est proportionnelle à l'objectif fixé par le gouvernement. Cette affirmation a de fait sa réponse dans son affirmation elle-même puisque les objectifs sont fixés par le gouvernement, la proportionnalité de la mesure dépendra donc à fortiori des critères fixés par ce dernier.

La proportionnalité nous emmène donc ici dans un droit de l'incertain puisque personne n'est en mesure de connaître au préalable la proportionnalité des décisions prises, elles sont variables dans leur définition même.

Nous passons donc d'un droit qui prenait sa source dans des textes fondamentaux et dans le sens des termes utilisés (une certaine forme de certitude), à une interprétation en fonction d'une marge fixée par ceux-là mêmes qui élaborent cette dit marge (une incertitude tant qu'à la base d'application).

On peut alors de ce fait affirmer qu'un « laissez-passé » ne contrevient pas à la liberté de se déplacer puisque la norme fixée est celle que ce même laissez-passé a établi pour élaborer la condition pour se déplacer, alors même que si nous nous intéressons, comme jadis à la définition de liberté, un laissez-passé en deviendrait forcément une entrave.

La naissance du droit de l'incertain est le début d'un droit où tout peut se justifier par l'absurde et la redéfinition de termes philosophiques envers et contre leur sens historique.


Le droit est un savoir critique qui parle d'avenir et de construction des rapports sociaux, et non le simple catalogue des décisions jurisprudentielles

Il y a dans le droit deux grandes façons d'aborder cette discipline, l'une consiste dans le commentaire des textes et des jugements des juridictions, amenant il est vrai une bonne connaissance de l'actualité du droit rendu, mais empêche toute prise de distance à une légalité qui en découlerait de fait ; l'autre grande manière d'aborder le droit est de considérer que les termes utilisés ont un sens en eux-mêmes en dehors du jugement rendu et donc amène à une critique de la jurisprudence, voire de l'état du droit en un instant donné.

La grande majorité des ouvrages en droit appartiennent à la première façon de lire le droit ce qui automatiquement leur enlève un recul critique pourtant nécessaire. C'est sur ce point très particulier que je voulais donner un exemple qui me semble emblématique lorsque l'on aborde, à titre d'illustration, la 8e édition de l'ouvrage « Droit des libertés fondamentales », deux points ont attirés mon attention et appellent à discussion.

La première porte sur la conclusion de la « théorie de la loi-écran » où il est écrit p. 85 de l'ouvrage : « La théorie de la loi-écran ne constitue donc pas un obstacle pour la diffusion des droits fondamentaux », cette affirmation semble avoir été démentie par la loi sur « l'état de l'urgence sanitaire » puisque ce fut une loi qui permet aux autorités réglementaires d'intervenir directement dans un domaine pourtant réservé à la loi, en vue de l'article 34 de la Constitution de 1958, des libertés fondamentales.

Le second point découle précisément de cette vue « classique » de la lecture du droit, et porte sur la naissance précisément de la loi de « l'état d'urgence sanitaire », où il est écrit p.102 du même ouvrage «  Le code de santé publique dans son article L. 3131-1 (article qui n'a d'ailleurs jamais été examiné par le Conseil constitutionnel) prévoyait jusque-là qu' « en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence », seul le ministre de la santé pouvait prendre « toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population ».

Il aurait été intéressant de citer l'article dans son entier plutôt que de le découper car, il y était écrit à l'origine que « le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée...etc ».

Dans la loi, ce n'est pas le verbe « prendre » qui y est écrit, mais bien « prescrire », et cette différence est fondamentale. En effet, « pouvoir prendre » a une valeur d'obligation alors que « prescrire » a une valeur de proposition.

D'ailleurs, la rédaction de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 en son article 4 ira dans ce sens puisque le décret de déclaration d'un état d'urgence sanitaire est pris en conseil des ministres en fonction du rapport du ministre chargé de la santé qui peut en limité l'application, donc bien la « prescription ».

Cette question de français nous ramène à une question de droit élémentaire entre l'obligation et la proposition.

Il en va de même avec le terme de « proportionnalité » (que nous verrons dans un autre article) qui est justifié dans le texte par les décisions des juridictions sans nous donner la base sur laquelle la proportionnalité est établi tel qu'un ordre de grandeur par exemple, c'est proportionnel par rapport à quoi ? Sur quels critères et quelles bases ? Il serait intéressant qu'un précis puisse nous apporter ses informations.

Tout ceci renvoie là aussi à la distinction classique entre « l'argumentaire d'autorité » et « la démonstration de droit ». Il aurait donc été intéressant de s'intéresser à la nature des termes d' « urgence », d'  « exception » pour voir en effet, s'il n'y avait pas déjà en notre droit courant les moyens d'action et ainsi interroger la légalité.

Ce droit critique à partir du sens des mots est un droit qui a toujours été celui des grands juristes ou doyens car, il nous permet de resituer le droit dans la société comme le savoir qui nous permet de vivre ensemble, si nous adoubons tout ce qui se fait et dit, il n'y a plus ce retour critique nécessaire à la construction de toute connaissance, nous devenons alors un catalogue de descriptions des décisions prises, alors même que le droit est avant tout un savoir d'avenir et de construction des rapports sociaux.