Nous entendons allègrement des commentaires du genre « en droit international » ou « dans le droit.... » comme si le droit détenait la « vérité » alors que nous devrions rappeler que le droit est avant tout une discipline conçue par les hommes et qu'à ce titre deux visions s'opposent entre ceux qui considèrent que nous pouvons créer des lois à notre bon désir (et il y en a un certain nombre) et ceux au contraire qui pensent que le droit est avant tout là pour acter l'évolution de la société.
Quoiqu'il en soit, le droit apporte une vision de la société et rien que pour ce fait, il ne peut pas être conçu comme un agent neutre, il nous donne des cases à penser et par ce fait organise jusqu'à notre façon de nous percevoir et nous organiser.
Ce phénomène est tellement ancré en nous que nous avons des difficultés à en être conscient. Mais, regardez, lorsqu'on divise le droit en « droit public » d'un côté et « droit privé » de l'autre, nous concevons le monde autour de ces notions. Pour faire simple, le droit public concerne l’État et tout ce qui tourne autour de lui, et le droit privé, c'est tout le reste, allant jusqu'à organiser notre administration juridique avec d'un côté des tribunaux pour l'administration et de l'autre côté des tribunaux généraux.
Une telle division place l’État au centre de notre société alors même que bien des situations ne relèvent pas de cette division entre « public » et « privé ».
Par exemple, nous attribuons la capacité à créer des actions « d'intérêt générales » à l'administration. Seule l'administration et l’État agiraient pour l'intérêt de tous. Cette idée est fortement ancré dans notre société, pourtant nous avons de plus en plus d'associations loi 1901, donc de droit privé, qui agissent pour la collectivité, pour le fonctionnement de celle-ci, pour la défense de celle-ci, pour l'entre-aide, le partage, voire même son développement. Elles agissent pour le « bien commun ». Ainsi, ces associations développent des actions dans l'espace de « l'intérêt général », mais ne seront jamais qualifiées comme telles. La raison est l'acceptation de la division entre « public » et « privé ».
L’État peut agir dans l'espace privé et pourtant sera toujours considéré comme une action publique.
Cette division arbitraire a modelé notre vision du monde et a ficelé notre capacité à l'action. Quand je reprends l'exemple des associations, alors que l’État a le droit à attribuer des salaires à des agents agissant pour « l'intérêt général », les associations ne peuvent pas rétribuer leurs dirigeants (Président, Trésorier...) dans la mesure où la non-lucrativité (c'est-à-dire sa capacité à agir pour tous) d'une association est déterminée par son « fonctionnement » et non par sa « nature ». Là aussi, cette division pose un certain nombre d'inégalités et d'injustices envers les personnes qui agissent, puisque certaines auront le droit d'être rétribuées alors que pas les autres pour une même action.
C'est pour quoi il serait intéressant d'affirmer l'unité du droit et de qualifier les événements du droit non en fonction d'une division arbitraire et fixe (public/privé), mais à partir d'une classification modulable qui va du « conjoncturel » au « structurel », jugeant ainsi les événements juridiques selon une série de critères, au moins cinq : l'espace, le temps, la situation, l'intention et l'intensité.
Forcément, dans une telle hypothèse l’État ne serait plus forcément le dépositaire de l'intérêt général, et l'association ne serait pas obligé d'avoir un Président bénévole pour justifier de sa non lucrativité. Redessinant le droit, nous redessinons de fait la société et nous ouvrons enfin de vraies possibilités à notre imaginaire de développer la société.
Pour les associations, nous pourrions imaginer d'ailleurs de caler leur rétribution sur la grille salariale de la fonction publique.
Enfin, terminons sur une pensée de Montesquieu quand il définissait le droit comme l'étude de « la nature des choses ». Car, cette démarche est précisément celle à laquelle j'invite, « étudier la nature des choses » qui en elles-mêmes nous parle de leur place et de l'équilibre de notre société qui appelle à intégrer tous les pôles de celle-ci et non de tourner autour de l’État à en avoir le tournis.
La rénovation du droit est essentielle pour faire face aux enjeux de notre temps qui appellent de valoriser chacun et chacune, et de permettre à tous d'émerger et vivre.